Extrait n°1

 

Délicatement, les deux enfants retirèrent une par une les caisses de planches fines pour découvrir blottis les uns contre les autres une portée de cinq chatons qui devaient avoir tout au plus une semaine. Il y en avait deux gris, deux noirs et un roux. Lise s’émerveilla devant leurs petites têtes rondes sur lesquelles de minuscules oreilles pointaient déjà. Leurs petits yeux vitreux semblaient la regarder mais Daniel lui assura qu’ils n’y voyaient pas encore. Précautionneusement, elle avança son petit index pour les toucher. Leur pelage était si doux, tellement soyeux qu’elle éprouva alors une émotion qu’elle n’avait jamais ressentie de toute sa petite vie d’enfant.

— Ça va, ils ne sont pas encore assez grands, ils ne sentiront rien ! affirma Daniel.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? questionna Lise les sourcils froncés, tout en continuant de caresser les nouveaux-nés.

— Eh bé ! Il faut les noyer dans la rigole. Tu peux pas les garder, il y aura des chats partout sinon.

— Tu es… Tu es…

Lise ne trouvait pas de mot pour qualifier le garçon, celui qu’elle croyait être son ami.

« Tu es le diable ! Va-t’en ! » lui cria-t-elle enfin.

— De toute façon maintenant que tu les as touchés, la mère va les changer de place, tu les reverras plus jamais ! lui répondit-il vivement. Vexé par ce renvoi sans appel, il descendit l’échelle à la hâte.

Enchantée de se retrouver seule Lise allait pouvoir rester avec les petits chats aussi longtemps qu’elle le voudrait. Finalement sa mère devait avoir raison lorsqu’elle disait que les gens de ce village étaient des sauvages.


Extrait n°2
 

Annabelle à la fenêtre le regarda partir puis elle alluma une cigarette. Assise, les yeux rêveurs, elle repensa à tout ce qui venait de se passer.

Elle avait emmené Manuel dans la petite salle d’eau puis était restée à l’observer pendant qu’il se nettoyait. L’endroit était si exigu que leurs corps ne pouvaient que se toucher. Ils s’étaient regardé par l’intermédiaire du miroir et Annabelle avait immédiatement su, aux yeux du jeune homme, qu’elle le tenait en son pouvoir.

Elle s’était alors pressée contre lui et sans hésitation il l’avait embrassée, sauvagement, serrant sa taille fine d’un bras vigoureux. Il avait caressé ses jolis seins ronds jusqu’à lui faire mal, ensuite une main sous la robe légère, il l’avait rendu folle de désir. Il l’avait prise alors contre le petit lavabo blanc en faïence émaillée. Leur court plaisir avait éclaté en même temps, puis la laissant encore toute pantelante, Manuel était parti, gêné, s’excusant presque pour ce qu’il venait de faire.

Annabelle écrasa sa cigarette. Manuel reviendrait, elle le savait.




Extrait n°3
 

C’est en tout début d’après-midi que la nouvelle se répandit dans le village comme un raz-de-marée : La petite Mariette Pujol avait disparu ce matin ! Elle jouait avec Christine, sa sœur aînée, devant la porte de leur maison, Christine était rentrée chez elle quelques minutes pour boire un verre d’eau et quand elle était ressortie, Mariette n’était plus là ! Elle avait disparu ! Volatilisée ! La grande sœur affolée était allée en courant retrouver sa mère qui faisait de l’herbe pour les lapins dans le champ de Pierret.

Abandonnant son sac de jute plein de luzerne, de salades sauvages, de laiterons et de pissenlits, la mère de Mariette était rentrée au village à toutes jambes. Christine, en pleurs, l’avait suivie tant bien que mal, la vue brouillée par les larmes, la respiration entrecoupée de sanglots.

Ensemble, elles s’étaient précipitées à la mairie : Monsieur Rivière saurait quoi faire !

Dans un premier temps, le maire avait fait prévenir Albert, le père de Mariette et cantonnier du village puis il avait téléphoné en personne aux gendarmes de Ginestas.

Dix minutes après ils étaient là, impuissants, ne sachant que faire. Alors, ils avaient commencé par interroger les parents, ensuite les plus proches voisins, puis petit à petit pratiquement tout le village mais personne n’avait vu Mariette.

 
Extrait n°4

 

Le quatorze juillet vers dix-neuf heures trente, un petit bus Wolkswagen jaune, décoré de couleurs vives, toussant et crachant comme un vieux fumeur se gara juste derrière l’estrade. Il égaya d’un peu de peinture colorée l’écorce du platane qui cette année encore avait protégé la fontaine.

Deux jeunes chevelus en descendirent, rejoint bientôt par le gros de la troupe : deux autres garçons et deux filles, qui avait garé leur Aronde trois rues plus loin. Ils commencèrent à décharger leur bus pour installer sur la scène de grosses enceintes, la batterie, quelques pieds de micro et les pupitres garnis de partitions.

Attirés de nouveau par ce remue-ménage, les enfants arrivaient de toutes parts, s’approchant trop près du matériel au goût des musiciens. Le plus costaud d’entre eux, jean délavé, chemise à grand col et épaisse barbe brune, plaça les mains sur ses hanches puis s’adressa à eux d’une puissante voix de stentor : « Le premier qui monte sur la scène et qui touche quoi que ce soit, je l’éventre avec mon grand couteau et je lui fais bouffer ses boyaux ! »

Puis sourire en coin, il adressa un clin d’œil aux autres musiciens restés en retrait.

Lise et Daniel qui faisaient partie des étripés en sursis, reculèrent vivement. Assis à bonne distance, ils observèrent l’installation des instruments et les essais de son.




Extrait n°5
 

Lentement, ils se mirent à monter. Les pierres des marches bougeaient sous leurs pieds mal chaussés. Le ciment depuis longtemps s’était effrité. Même la rampe toute d’un même bloc de béton semblait vouloir se détacher à tout moment. L’étage n’était plus qu’une seule et même grande pièce pleine de décombres : Les cloisons qui autrefois délimitaient les chambres s’étaient effondrées. Marchant précautionneusement sur le sol qui paraissait instable, Daniel ouvrit tous les volets. L’air sec et chaud entra d’un coup. Le soleil en déclin donnait à la pièce une jolie couleur ambrée.

«  Macarèl Lili, il va pas tarder à faire nuit ! Faut se grouiller de rentrer maintenant, sinon on n’y verra plus rien. On pourrait même tomber dans le canal ! »

Lise réalisa avec angoisse que Daniel disait la vérité, qu’il fallait vraiment se presser de partir. Les deux enfants se précipitèrent dans l’escalier, qui ébranlé par les secousses, s’effondra d’un coup. Les gros blocs de béton de la rampe mêlés aux pierres, entraînèrent en se détachant Lise et Daniel dans un fracas assourdissant.


 



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